Propos recueillis par Madalina Alexe pour le site Café des roumains.
Ingénieur de formation, doctorant en économie écologique à Budapest et surtout objecteur de croissance, Vincent Liegey est co-auteur de l’ouvrage “Un projet de décroissance. Manifeste pour une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie”, paru aux éditions Utopia. Lors de son dernier passage à Paris, nous l’avons rencontré afin d’apprendre un peu plus sur ce mouvement qui semble interpeller de plus en plus de gens en Europe : la Décroissance.
Café des Roumains : Comment avez-vous découvert la décroissance ?
Vincent Liegey : Je suis ingénieur à la base, mais depuis 2006 je me suis intéressé à l’économie et aux questions environnementales, avec une vision proche de l’école du Monde diplomatique, d’Attac ou de celle de Noam Chomsky aux Etats-Unis. Puis un jour, un ami m’a envoyé un article très célèbre, qui aurait dû révolutionner les sciences économiques – “La loi de l’Entropie et les processus économiques” – écrit par un économiste d’origine roumaine, Nicholas Georgescu-Roegen. Là tout est devenu clair pour moi ! J’ai lu par la suite tout ce que j’ai pu sur Georgescu-Roegen, que je trouvais d’une grande clarté, d’une grande intelligence et avec beaucoup de bon sens. Il démontait de manière physique, écologique, énergétique, les sciences économiques telles qu’elles sont enseignées aujourd’hui dans les universités.
Café des Roumains : Les travaux de Nicholas Georgescu-Roegen sur la décroissance datent des années 1970. Comment se fait-il que cette théorie ait été ignorée pendant tout ce temps ?
NICHOLAS GEORGESCU-ROEGEN, MATHÉMATICIEN ET ÉCONOMISTE D’ORIGINE ROUMAINE, DONT LES TRAVAUX ONT SERVI D’INSPIRATION AU MOUVEMENT DE LA DÉCROISSANCE
Vincent Liegey : Toutes les théories de la décroissance datent des années 70 (les études de Georgescu-Roegen, tout comme celles du Club de Rome ou encore les travaux sur le Pic pétrolier). On sait depuis que notre modèle économique nous amène dans le mur, qu’il n’est pas soutenable. Il y a une littérature académique des années 1960-1970 qui déconstruit les mythes des bienfaits de la croissance, apportant une critique de la société de consommation, du productivisme (avec notamment Ivan Illich ou André Gorz, l’un des pères de l’écologie politique). Au même moment, on a assisté au coup d’Etat de 1973 au Chili, faisant de cet Etat le premier pays d’expérimentation des théories libérales. Avec l’arrivée au pouvoir de Reagan (1981) et Thatcher (1979), on est rentré dans une logique de pensée unique – il n’y a plus d’autre alternative que l’économie du marché, le néolibéralisme, la croissance économique… On s’est enfermé totalement là-dedans, à l’Ouest comme à l’Est et plus récemment dans les sociétés “sous-occidentalisées”, comme la Chine, le Brésil, l’Inde.
Lorsqu’on écoute aujourd’hui les politiques mainstream, on a l’impression d’entendre le clergé au Moyen Âge. On est dans la religion de la croissance, on ne pose même plus la question du sens : qu’est-ce qu’on produit ? pourquoi on produit ? D’un côté on cherche la croissance pour sortir de la crise économique, de l’autre côté on veut sauver la planète. C’est un système délirant !
Café des Roumains : Face à tout cela, que proposent les Décroissants ?
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