Je rentre tout juste d’Istanbul après 40h de train à travers les Balkans, où je viens de passer une semaine riche en rencontres, réflexions, débats, surprises et, bien sûr en événements festifs et conviviaux.
En effet se tenait du 15 au 18 juin la 9ème conférence internationale d’économie écologique.
J’ai aussi participé aux trois jours d’ateliers participatifs de la pré-conférence réunissant une trentaine de jeunes chercheurs du monde entier.
Qu’est-ce que l’économie écologique ?
L’économie écologique est une branche de l’économie qui remet en cause le néoclassicisme, comme l’a très bien expliqué l’universitaire anglais Clive Spash lors du premier jour de la pré-conférence. On retrouve parmi les pionniers et les sources de cette discipline beaucoup de penseurs très souvent cités dans la Décroissance, comme, pour n’en reprendre que quelques uns, Nicholas Georgescu-Roegen, Karl Polanyi, Ernst Friedrich Schumacher… Ne manquent que l’approche culturelle et nos références comme Illich, Gorz, Castoriadis, Ellul, Charbonneau, Latouche, etc.
Il ne faut surtout pas la confondre avec l’économie de l’environnement, vivement critiquée pour ses errements néo-classiques et son déni de réalité. Clive Spash nous a ainsi fait la démonstration, après plusieurs années de difficile collaboration, de l’incompatibilité des deux démarches et du besoin de radicalité et de cohérence afin de permettre à l’économie écologique de s’émanciper.
Le deuxième jour de cette pré-conférence était consacré à une question chère aux objecteurs de croissance : le capitalisme est-il éco-compatible ? Les discussions étaient menées par Pat Devine de l’université de Manchester et la Décroissance (Degrowth) fut allègrement citée, avec souvent beaucoup de confusions. Difficile d’expliquer à nos amis économistes que Degrowth n’est pas la décroissance pour la décroissance, ce qui serait aussi stupide que la croissance pour la croissance.
La Décroissance en force
Le troisième jour de cet atelier était uniquement consacré… à la Décroissance. Cette journée fut animée par nos amis barcelonais venus en force, en bateau, puis en train à travers les Balkans. En effet, s’est créé notamment autour de François Schneider, l’initiateur de la marche pour la Décroissance de 2005 et aussi de la première conférence internationale sur la Décroissance de Paris en 2008 avec Fabrice Flipo, une équipe de recherche sur la Décroissance à l’université autonome de Barcelone. C’est cette équipe, animée par le grand professeur Joan Martinez Alier (un des précurseurs de l’économie écologique) qui avait organisé la 2ème conférence internationale en mars dernier. Leur méthode de travail s’appuie sur des collaborations continues entre activisme, expérimentations et recherche académique interdisciplinaire. C’est ce que l’on appelle la transdisciplinarité. Ils ont ces deux dernières années publié une dizaine d’articles dans des revues universitaires de référence et permettent ainsi à la Décroissance de s’immiscer, petit à petit, à la fois dans le monde anglo-saxon (la littérature sur la Décroissance en anglais reste très pauvre) et le monde universitaire (dominé par l’anglais !).
La Décroissance, avec eux et d’autres, notamment les réflexions du Parti Pour La Décroissance, ont ainsi, tout au long de la conférence trusté les places de choix : ateliers, plénières, questions dans la salle… en s’imposant de manière naturelle. Elle était surtout très présente lors des pauses café, des déjeuners, des soirées…
Perspectives
La Décroissance, comme le dit souvent Paul Ariès, est un ovni politique, mais c’est aussi un ovni académique. Elle surprend, déstabilise par son approche multidimensionnelle, sa radicalité et sa cohérence. De même, elle joue vraiment ce rôle de poil à gratter, de casseur de dogme et ouvre des perspectives, en particulier grâce à l’équipe de Barcelone et son organisation construite sur le principe de l’autogestion, de la participation et de l’intégration de la société civile dans ses recherches et discussions.
Cette liberté est enthousiasmante mais peut créer des confusions et je dois bien reconnaître que malheureusement certaines discussions avec des universitaires, se retrouvant perdus face à une telle approche radicale et transdisciplinaire, se sont avérées stériles. Qu’est-ce que la Décroissance ? Comme en France, le débat était récurrent, comment définir simplement la Décroissance, pourquoi un terme aussi négatif ? En anglais, on parle de Degrowth, en allemand, un consensus a semble-t-il été trouvé autour de post-croissance (postwachstum). En France, nous avons réussi, même si le débat continue à battre son plein, à trouver un certain consensus autour du slogan provocateur mot obus, jouant ce rôle de poil à gratter idéologique. Beaucoup d’Objecteurs et d’Objectrices de Croissance, pas tous, se retrouvent derrières ce mot et la pensée politique qu’il représente.
En France, mais maintenant un peu partout dans le monde occidental, la Décroissance se répand, questionne, fait vivre les idées… mais semble toujours se chercher.
Vincent Liegey, membre du Parti Pour La Décroissance et du collectif Décroissance 2012, effectue un doctorat sur la Décroissance à l’université d’économie de Budapest.