« Le problème n’est pas le nombre de personnes sur terre mais le nombre d’automobilistes »
Trop souvent, les objectrices et objecteurs de croissance balaient rapidement le débat sur la démographie d’un revers de main avec ce genre de boutade. Sommes-nous trop nombreux sur terre ? Sommes-nous pour la décroissance de la population mondiale ? Et si oui, comment et jusqu’à ou ? Si nous ne considérons pas ces questions comme centrales, elles nous sont trop souvent posées. Une simple boutade n’est pas suffisante et cela prouve que ces questions méritent d’être débattues.
1) La Décroissance est un nouveau projet politique multidimensionnel et radical, c’est ce qui fait sa cohérence :
La Décroissance s’appuie sur deux approches :
– Les limites physiques de la croissance avec la nécessité de construire une transition. Les réflexions sur la question démographique font partie de cette approche.
– Les limites culturelles de la croissance avec la désirabilité de nouveaux projets de sociétés. C’est le buen vivir.
Nous faisons face à une convergence de crises. Donc trouver des solutions à cette crise anthropologique ne consiste pas uniquement à soigner les symptômes, dont l’explosion démographique fait partie, de l’impasse dans laquelle nous amène toujours plus vite la société de croissance, mais au contraire d’essayer de comprendre l’essence même de ce processus afin de l’enrayer à la racine. C’est pourquoi nous pensons que nous devons réfléchir à la mise en place d’une transition démocratique et sereine vers de nouveaux projets de sociétés soutenables et souhaitables. Nous devons partir de la société dans laquelle nous sommes et telle qu’elle est psychologiquement, culturellement, socialement mais aussi institutionnellement, politiquement, économiquement et démographiquement. Cette transition ne sera démocratique et sereine que si on trouve des leviers politiques, économiques et sociaux suscitant une forte adhésion et participation à celle-ci.
Limiter le débat à la décroissance démographique, ou même à la décroissance de l’empreinte écologique des plus riches, est contre-productif et risqué :
– Contre-productif car si avoir raison était suffisant et si l’homme, en particulier les décideurs, n’était guidé que par des réflexions rationnelles, la population mondiale aurait été limitée à un nombre que ces experts auraient défini comme optimal. Nous serions sortis de la société de croissance et aurions arrêté cette folle course d’une société de domination d’une minorité sur la majorité et de tous sur la nature… Malheureusement, ou heureusement, l’homme n’est pas rationnel et s’est embarqué dans le délire croissanciste.
– Risqué voire dangereux, car limiter le débat à la question du nombre ouvre la porte à des politiques eugénistes inquiétantes, on ne gère pas la population mondiale comme un stock de voiture. Elle permet aussi d’éluder la partie immergée de l’iceberg (le non sens de la société de croissance !) et pourrait devenir un outil efficace pour l’oligarchie autoritaire afin de ne surtout pas remettre en question sa position de domination. De plus, on a déjà pu voir d’une part l’inefficacité et d’autre part les conséquences désastreuses de politiques anti-natalistes (exemple de l’enfant unique en Chine) !
Ainsi, nous nous positionnons ni en faveur d’une politique anti-nataliste (depuis quand ne pas vouloir faire d’enfant est une société d’avenir ?), ni en chantre de la natalité avec des politiques natalistes qui s’inscrivaient et s’inscrivent dans cette logique productiviste morbide et de compétition économique : avoir toujours plus de chaire à canon et de force productive. Il faut donc sortir de la binarité nataliste / malthusien sur cette question. L’enjeu est bien d’essayer de comprendre le problème dans sa complexité multidimensionnelle et d’essayer de réfléchir, de construire et d’expérimenter des utopistes et cette transition qui est déjà en route…
2) Nourrir la planète et Décroissance ? Démographie et inégalités sociales et environnementales :
Alors que nous produisons suffisamment de nourriture pour satisfaire les besoins de l’ensemble de la planète, plus d’un milliard de personnes souffrent de malnutrition et plusieurs millions, en particulier des enfants, meurent de faim chaque année. Il y a également 1,5 milliard d’humains qui souffrent d’obésité dans le monde. En fait, aujourd’hui on meurt plus d’obésité et de malbouffe que de faim ! Le problème est donc fondamentalement systémique et politique.
La question de la production de nourriture et la manière dont nous la produisons est centrale. Tout comme notre mode d’alimentation, notamment la quantité d’alimentation carnée que nous consommons. Une étude de la FAO, reprise par Ziegler, précise que l’on peut nourrir 12 milliards de personnes avec une agriculture soutenable de proximité et sans manger de viande.
Il est certain que sans cette croissance démographique que l’on a connu ces dernières décennies, la situation serait plus simple et cela ne veut en aucun cas dire qu’il faut atteindre les 12 milliards d’habitants sur terre. Cela montre que la question démographique, à 7 milliards, n’est pas le problème numéro un aujourd’hui. C’est bien évidemment un facteur important mais en aucun le seul facteur qui permettrait de résoudre tous les problèmes.
Il s’agit avant tout d’une question de choix démocratique et juste : partage des terres, de la nourriture, des énergies, organisation, quel type d’agriculture soutenons-nous, quelle alimentation, quelles solidarités, quelles modèles économiques, politiques, etc.
Aujourd’hui, que ce soit à travers les politiques de développement soutenu par des institutions telles que le FMI ou la banque mondiale, que ce soit avec le développement criminel des agro-carburants, que ce soit la course infernale à l’appropriation de terres agricoles en Afrique ou en Amérique du Sud, que ce soit la politique agricole commune, nous faisons exactement le contraire de ce que l’on devrait : nous exproprions des petits paysans, nous détruisons les cultures vivrières, les tissus sociaux associés, les savoir-faire, nous rendons les paysans et notre agriculture dépendants des multinationales (avec le brevetage du vivant) et des énergies fossiles (engrais, pesticides, motorisation, conditionnement, emballage et distribution), nous détruisons les sols en les polluant et en les appauvrissant et détruisons la biodiversité.
3) Sortir de la société de croissance et du développement met en place de manière sereine les conditions d’une autre démographie :
Nous faisons face à des phénomènes et à des dynamiques très différentes. Pour les classer :
– Développement d’un mode de vie et de consommation à l’occidentale, notamment la consommation carnée, qui n’est ni soutenable ni généralisable et encore moins souhaitable (quel que soit le niveau de population mondiale !).
– Le développement d’une agriculture intensive pour les raisons et avec les conséquences évoquées plus haut.
– Une transition vers un autre modèle difficile si non mis en place rapidement : à titre d’exemple en Europe, l’arrêt d’importation de pétrole peut se faire de manière instantanée et nos réserves nous permettent de ne tenir que quelques semaines, alors que la réhabilitation de sols surexploités peut prendre plusieurs années !
– La croissance non souhaitable de la population mondiale, qui a tendance à se ralentir mais qui est sur des dynamiques longues.
Donc il faut d’abord jouer sur les trois premiers points pour permettre de vivre de manière soutenable et juste sur la terre. Le quatrième doit aussi être pris en compte. Mais la baisse de la population mondiale doit s’inscrire dans le cadre d’un projet de transition sereine et démocratique, en s’appuyant ni sur la contrainte (éco-fascisme ?) ni à travers des plans délirant barbares (politique anti-nataliste autoritaire, eugénisme, organisation de famines, d’épidémies, de guerres, etc.). Tandis que l’oligarchie néolibérale se limite à des programmes morbides de planification familiale et de contraception, sans redistribution des richesses. L’objection de croissance visent à une transition et donc une redistribution des richesses plus juste qui est une des conditions majeurs pour la baisse souhaitable et souhaitée de la natalité, grâce à l’émancipation des femmes, par leur accès à l’éducation, leur autonomie personnelle et professionnelle.
Publié en juin 2012