Nous étions quatre objecteurs de croissance (Vincent Liegey, Stéphane Madelaine, Christophe Ondet et Anne-Isabelle Veillot) à se rendre en Belgique les 15 et 16 mai 2010 afin de participer au colloque « Territoire et Décroissance » organisé à l’occasion de la sortie du numéro 8 de la revue « Entropia » par le Grappe (Groupe de Réflexions et d’Action Pour une Politique Ecologique) à Louvain-La-Neuve, mais aussi afin de rencontrer nos amis belges du MPOC (Mouvement Politique des Objecteurs de Croissance). Petit compte-rendu.
Colloque « Territoire et Décroissance »
Tout débute donc le samedi matin avec Paul Lannoye qui nous présente succinctement la Belgique selon le thème du colloque. Elle est l’un des territoires les plus urbanisés du monde avec une artificialisation des terres très importantes. Louvain-La-Neuve en est un exemple, ville nouvelle construite à la fin des années 60 sur de riches terres agricoles !
Jean-Claude Besson-Girard introduit alors le colloque en expliquant que la Décroissance est nécessaire et inéluctable mais, surtout, qu’elle doit sortir du cercle universitaire et se présenter joyeusement.
LA VILLE QUESTIONNEE
De façon générale, la ville dans son mouvement incessant d’import-export accélère l’entropie.
Nous avons une perception tronquée de la ville, la production nécessaire à son fonctionnement dépassant son territoire. La ville ne peut être imaginée sans son arrière-boutique (c’est-à-dire toutes les productions nécessaires à son fonctionnement) qui a un impact important notamment sur le paysage. La ville génère ainsi des hectares fantômes ils sont invisibles pour les urbains car se situant en périphérie ou beaucoup plus loin : de la campagne environnante au Kenya).
« Les logements sont des cages de béton et les routes des rivières urbaines »
Nous devons prendre conscience que nous vivons dans un décor de carton-pâte : la « machinerie » urbaine influe sur les paysages. La ville est à la fois dense, mais aussi très étalée (empreinte écologique, réseau d’eau potable par exemple). La ville représente une nouvelle manière d’habiter la Terre, elle est devenue un des paysages de la modernité, plus seulement l’envers de la campagne (qui reproduit le modèle urbain ! les campagnes s’artificialisent). L’humanité est urbaine (y compris les objets…). La densité des villes augmente la consommation énergétique pour l’entretien, le fonctionnement de la machine (par exemple, les gratte-ciel entraînent l’usage d’ascenseurs…) Les villes se développent sans limites historiques ni financières : il aura fallu la crise financière, et son changement de paradigme pour renoncer au projet d’une tour d’un km de hauteur à Dubbaï. C’est la fin de la verticalité écrasante. Dans de tels espaces, il y a perte de l’individu qui est atomisé (Christophe Laurens). Il faut donc se réapproprier la ville … en partant du quartier, et s’interroger sur la densité des modes de vie et non la compacité.
Rôle du végétal dans la ville : retrouver la dimension de la Terre-sujet. Le végétal rappelle notre relation avec la Terre, par opposition au territoire (la terre en tant qu’objet). La Terre en tant que sujet de contemplation, sujet éternel face à nos sens, mais aussi un lien avec la production (alimentaire). La ville n’est pas indépendante de la Terre, la végétation fait lien, assure la fluidité et la continuité dans notre questionnement sur « là où on habite » (David Besson-Girard)
La Décroissance s’appuie sur deux piliers, le pilier du Nécessaire c’est-à-dire l’obligation à changer car il le faut pour des raisons non discutables (ex. : le pic de pétrole impose le changement), et le pilier du Souhaitable (qui disparaît avec le temps qui passe…) qui implique un retournement total dans notre rapport au monde, notre façon d’être.
La ville, ne produisant pas sa propre alimentation, a été possible grâce aux surplus de l’agriculture. L’opposition ville/campagne est dépassée, nous devons sortir de l’idée de spécialisation des territoires et trouver un équilibre entre l’espace dans lequel nous vivons et l’espace réservée à la nature pour elle-même ; nous devons également sortir de l’idéologie de la concurrence : c’est le même humain qui occupe ville et campagne. Un changement global ne pourra être que politique. Cette séparation ville-campagne est de moins en moins pertinente.
Il apparaît souhaitable de restaurer le « ressenti » par rapport à la Terre. De la même façon, évacuer des villes ; la publicité, la voiture, et la grande distribution (surtout son esprit et les accès à ses infrastructures (la grande distribution qui génèrent de l’entropie, pour réinstaurer le beau et l’inutile sont des objectifs à atteindre (Laurent Liévens).
L’humain est devenu un animal urbain. Dans la société individualiste, on ferme sa porte et on est libre (ce qui nécessite des tonnes de béton) ; dans la société du co-habitat, grâce à la synergie d’alternatives comme les S.E.L., le partage des courses, de la cuisine, des machines (à laver jusqu’à la voiture) , c’est le groupe qui rend plus libre. Pour l’instant le co-habitat concerne les personnes riches (pays de l’OCDE), de plus de 50 ans … Il en est de même pour les éco-villages, les villes en transition. Certaines expériences, notamment en Suède et au Danemark, reçoivent un soutien financier et pratique des pouvoirs publics.
Il faut envisager la ville autrement, dépasser la notion d’ « urbain » et imaginer un monde post-urbain : la Terre est recouverte de villes dans lesquelles vit plus de la moitié de l’humanité. Notre système alimentaire détruit le sol : comment réapprendre les savoirs ancestraux d’agriculture paysanne pour supprimer l’exportation ? L’humanité a un destin « décroissant » et l’enjeu est de comprendre comment habiter la terre autrement, tout en étant concret et pratique, sortir de l’utopie.
La Nature ne nous est ni extérieure, ni intérieure, elle est notre « en-dehors » ; notre société (éducation et parents, etc.) a fait le choix d’adapter l’humain à un système qui ne fonctionne pas. Pour garder un rapport spontané au vivant, à la Terre, il faut construire une relation qui dessine et donne place à la nature. Le rapport au temps est différent dans la ville et dans la campagne. (Matthieu Liétaert) mais il ne faut pas perdre de vue que la nature sauvage n’existe pas quand l’homme s’y intègre.
ECHELLE HUMAINE ET TERRITOIRES
L’extension des villes amène un phénomène de concentration (habitations, commerces, bureaux, entreprises). La voiture modèle les villes : le village-rue. Il serait souhaitable de limiter cette extension à un certain pourcentage de territoire et de vouer le reste à l’agriculture.
– La ville idéale : celle où chacun se connaît. (Martine Dardenne). Il faut retrouver l’échelle humaine ou, plutôt, les échelles humaines, désirables et possibles. A partir de quel moment un changement d’échelle entraîne un changement de nature ? (Philippe Gruca).
– La ville idéale : un territoire où l’on se sent bien. Se réapproprier le territoire pour se sentir bien et bien dans la collectivité (Ezio Gandin), et jubiler de la finitude. Au sujet des transports, nous devons nous interroger sur la nécessité de la mobilité et la rendre techniquement souhaitable, mais ne pas faire l’inverse.
– Bergerac est une ville à échelle humaine grâce à son « retard » par rapport à l’idéologie de la croissance. Accéder au désenclavement mental ! (Simon Charbonneau). Pour cela, une pensée systémique permet de résister et d’expérimenter.
– La ville idéale : le territoire de mes liens. Le projet « mosaïques » consiste en la juxtaposition de tout-petits territoires « autonomes ». L’expérience de l’auto-suffisance alimentaire est intéressante pour le passage à l’après-pétrole, car il répond à la question « comment alimenter les villes ? »
Le rapport à l’alimentation est une bonne clef d’entrée dans la Décroissance car l’alimentation pose la question agricole, donc la question rurale. Ainsi, l’agriculture productiviste a des avantages réels au niveau de la production mais pose un problème de redistribution et, sur le long terme, elle n’est pas soutenable car mortifère. Se pose la question de ce que veut dire nourrir, avec quel contenu agricole, quelle pratique (ainsi, le fast-food n’est ni soutenable, ni souhaitable). La question de l’approvisionnement alimentaire et énergétique est cruciale, et liée à la recherche d’un équilibre entre la ville et la campagne (avec un approvisionnement le plus local possible) à l’exemple de Sienne. Ce qui permet de redynamiser l’espace rural.
Le déferlement technologique provoque un processus de déshumanisation du réel. On est dans l’inertie, on accepte tout, on perd sa capacité d’indignation : processus d’anesthésie. On a adapté l’homme à un système qui ne marche pas, mais celui-ci ne se révolte pas non plus : se montrer pédagogue pour provoquer une rupture et des actes.
L’exode urbain ne devrait pas être le déplacement de de la ville à la campagne mais la renaissance du local que chaque territoire et habitants portent, selon son contexte et ses particularités. De la même façon, il faut se prémunir des dangers des rassemblements communaux qui sous prétexte d’économie d’échelles et de rationalisation (quelque fois avéré) freinent l’élan démocratique, déjà galvaudé.
LIMITES ET CIVILISATION
La religion grecque antique ignore la notion de péché tel que le conçoit le christianisme. Il n’en reste pas moins que l’hybris constitue la faute fondamentale dans cette civilisation. Elle est à rapprocher de la notion de Moïra, qui signifie en grec à la fois « destin », « part », « lot » ou « portion ». Les anciens concevaient en effet le destin en termes de partition. Le destin, c’est le lot, la part de bonheur ou de malheur, de fortune ou d’infortune, de vie ou de mort, qui échoit à chacun en fonction de son rang social, de ses relations aux dieux et aux hommes[2]. Or, l’homme qui commet l’hybris est coupable de vouloir plus que la part qui lui est attribuée par la partition destinale. La démesure désigne le fait de désirer plus que ce que la juste mesure du destin nous a attribué.
Le châtiment de l’hybris est la némésis (« destruction »), le châtiment des dieux qui a pour effet de faire se rétracter l’individu à l’intérieur des limites qu’il a franchies. Hérodote l’indique clairement dans un passage significatif :
« Regarde les animaux qui sont d’une taille exceptionnelle : le ciel les foudroie et ne les laisse pas jouir de leur supériorité ; mais les petits n’excitent point sa jalousie. Regarde les maisons les plus hautes, et les arbres aussi : sur eux descend la foudre, car le ciel rabaisse toujours ce qui dépasse la mesure[3]. »
Si l’hybris est donc le mouvement fautif de dépassement de la limite, la némésis désigne le mouvement inverse de la rétroaction vengeresse.
La notion d’Hybris n’est pas réservée aux personnages de la mythologie, du domaine de l’imaginaire ni des héros de tragédie c’est aussi la faute de personnages réels, celle dont par exemple Socrate accuse Alcibiade dans les livres de Platon .
C’est notre civilisation qui est menacée d’effondrement. Il faut retrouver la mesure en toutes choses. La croyance en la capacité illimitée de l’humain amène un refus des limites. « L’origine de la pensée humaine n’est pas indépendante de ses supports et technologies » (Foucault et Illich). Ne pas confondre technologie de masse et technologie pour la masse (Gandhi). Un livre paru en 1973, est toujours d’actualité « Small is beautiful » de Schumacher. L’évolution technologique a sa propre logique : comment nous adapterons-nous ? Il faudra choisir entre une technologie de puissance ou une technologie à visage humain (à l’opposé des méga-parcs d’éoliennes géantes). Ne pas perdre de vue que nous sommes des usufruitiers.
« Se limiter, c’est faire un choix pour le mieux »
Le passage de l’oralité à l’écriture est à la fois positif et négatif, l’écriture a fait perdre quelque chose, une faculté à réfléchir par soi-même. C’est un progrès et un regret. La technologie est trop souvent responsable de l’abstraction : on ne voyage plus, on se déplace. C’est le règne du virtuel. L’inertie s’est imposée, il n’y a plus d’indignation et de révolte (« pièce et main-d’œuvre » groupe grenoblois engagés dans une critique radicale de la recherche scientifique, du complexe militaro-industriel, du fichage, de l’industrie nucléaire et des nanotechnologies. Du fait de ses références bibliographiques, des textes qu’il publie et du type d’analyse qu’il développe, le collectif PMO participe de la mouvance anti-industrielle :
http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=plan).
Exemple : en numérisant tous nos supports , nous pouvons perdre toute notre mémoire en quelques secondes… (mot du « cameraman »)
« Le média est le message » : le numérique est-il la fin de la culture ? Le message de la Décroissance n’est pas forcément le livre … Nous devons résister à la destruction de l’intelligence autonome, et inciter à un usage du numérique intelligent, maîtriser son usage, le maintenir dans un statut de serviteur (et non l’inverse). Et, l’usage doit être contrôlé de façon collective.
Le débat était le même lors de l’invention de l’écriture :
Platon rapporte le mythe de l’invention de l’écriture par le dieu égyptien Thoth. Ce passage insiste sur la menace que représente l’écrit pour la pratique philosophique. Platon condamne nettement et sans ambiguïté l’écriture. Il condamne sans équivoque possible la prétention de l’écriture à dire la vérité. Il semble, pour Platon, que l’oralité soit une forme plus adéquate à la manifestation de la vérité. Platon a nié à l’écrit la possibilité de reproduire sa pensée de manière intégrale. La civilisation dans laquelle évoluait Platon était elle-même hostile à l’écriture, et l’oralité maintenait le lien au temps et à la réalité. Jacques Derrida se plaît à rattacher au logocentrisme la vérité platonicienne de la secondarité de l’écriture sur l’oralité.
« Avec Platon s’élabore l’idéal logothéorique (de logos : langage, pensée, raison, et, theoria : vision, contemplation), idéal de connaissance et d’existence tout à la fois, constitutif de la philosophie en tant qu’elle est idéaliste. L’écriture constitue une insoutenable déchéance du logos. Elle n’est pas considérée par Platon comme un bon véhicule pour la pensée philosophique principalement à cause de sa rigidité. Le discours ne peut adapter son contenu selon la disposition intérieure de son auditoire, il ne peut ni distinguer devant qui il est juste de parler ni pénétrer réellement l’âme de ceux à qui il s’adresse. Par ailleurs, Platon évoque le philosophe dialecticien comme l’égal de la divinité. La méthode dialectique devient chez Platon le moyen par lequel l’âme s’élève, par degrés, des apparences multiples et changeantes aux Idées (essences), modèles immuables dont le monde sensible n’est que l’image, du devenir à l’Etre, de l’opinion à la Science. Le philosophe parvient à la contemplation de l’être vrai, qui est nécessairement un, invariable, impérissable et qui n’apparaît pas, mais qui est seulement pensable. Le savoir légué au texte écrit s’expose donc à un double péril : d’une part, s’il tombe entre les mains d’un auditoire ayant de mauvaises intentions, il risque d’être utilisé à des fins autres que celles prévues au départ ; d’autre part, même s’il s’adresse à un auditoire préparé, sa forme figée ne lui permettra pas de réellement pénétrer et transformer l’âme de ceux qui l’entendent. Le discours écrit risque de produire des effets plus néfastes que bénéfiques ».
La Décroissance est une chrono-logique.
Il faut démarchandiser (déprivatiser) ces trois biens :
– les ressources (la terre),
– la monnaie,
– le travail.
Maintenir le droit du travail mais sortir de la religion du travail en limitant sa marchandisation. Afin que notre viene soit plus empreinte par la domination du travail et de la consommation ni structurée par l’activité professionnelle.
La somme de vrais loisirs est inversement proportionnelle à la somme de toutes les machines et technologies à notre disposition … Tout est connecté à tout. Le système financier qui s’ écroule est le tableau de bord de l’effondrement de ce système hyper-connecté. L’économie financière qui s’effondre est signe que l’économie réelle s’effondre. A cette fin, il faut résister à la destruction de l’intelligence autonome (créer des poches de résilience), retrouver notre autonomie pour casser cette interconnexion (« Mégamachine »). Le système est trop complexe avec une hyperconnexion propre à la mondialisation (ex : l’agriculture est connecté au pétrole en amont et à l’agro-alimentaire en aval) : idée du « Parlement des fantômes » : déclaration des biens communs.
Rencontre avec nos amis belges du MPOC
(Mouvement Politique des Objecteurs de Croissance).
Le lendemain, nous avons rencontré des membres du MPOC, mouvement politique belge prônant la Décroissance ( http://www.objecteursdecroissance.be/ ). Jean-Luc Pasquinet était aussi de la délégation française.
Dans un premier temps, nous avons échangé de nos expériences respectives dans la construction d’un mouvement politique autour des idées de la Décroissance. Ni en Belgique, ni en France, cette construction n’est simple. Les Belges sont encore dans une démarche constitutives. Plus sereins et plus prudents.
Nous partageons l’idée que les trois niveaux d’actions politique ont leur importance pour notre mouvement : individuel, collectif et politique (projet et spectaculaire).
Nous sommes d’accord pour dire qu’il y a autant de chemins vers la Décroissance que d’objecteurs de croissance.
Nous avons évoqué la possibilité de mener des actions communes sur des thèmes transfrontaliers :
– Campagne « santé-protection-enfance » que les belges lancent. Ils nous ont invités à relayer cette campagne en France. Nous nous montrons enthousiastes quant à cette idée.
– « Parlement des fantômes »
– Déclaration des biens communs … en rapport avec la déclaration d’Evo Morales
– Désarmement
– Villes en transition
– Apporter une réponse collective sur les retraites, la sécurité sociale dont les réponses dépassent les frontières (DIA …)
– Travail autour des résistances, des alternatives concrètes en échangeant nos pratiques. Que la simplicité volontaire se transforme en alternatives concrètes ainsi que les utopistes
– Idée d’interpeller les autorités, par exemple sur la disponibilité des terres agricoles en friche (association Terre de Lien)
– Relation transfrontalière puisque la décroissance dépasse les frontières administratives
– Refaire des pique-niques.
Séjour à Louvain La Neuve
Louvain la neuve, et non Louvain, est une ville nouvelle dont une partie est montée sur dalle.
Avantage, pas de bagnoles sur la dalle : quel calme. Inconvénients : ça ressemble à une station de ski très surfaite.
« un truc complètement raté qui marche » dixit JC-BG
Dans la soirée du samedi, nous avons également acté un projet pour 2012, qui permettrait de redynamiser la Décroissance en politique.
Plus tard, dans la soirée, deux décroissants français ont dansé, chanté sur l’air de quelques chansons françaises de renom, notamment « les lacs du Connemara » d’un objecteur de croissance notoire. http://www.becketts.be/