Le numéro 29 de juin et juillet 2017 de Moins! contient un dossier consacré aux G20. A cette occasion, la rédaction nous a demandé quelle était la place de la décroissance dans les résistances types contre-G20. Voici notre contribution, que vous pouvez surtout lire dans Moins!, en ventre libre : http://www.achetezmoins.ch/
La Décroissance interpelle aussi bien sur le projet, le chemin que la méthode. Dans son rôle d’empêcheuse de penser en rond, elle nous invite à reconsidérer nos moyens d’action en insistant, d’une part sur la complémentarité de ses différents niveaux (individuel, collectif, projet et visibilité)1 et d’autre part sur l’importance de la mise en adéquation de la théorie et de la pratique.
Ainsi, lorsque des objecteurs de croissance participent à des mouvements sociaux ou des élections, c’est aussi pour mieux en questionner le sens et les limites. La Décroissance, s’appuyant sur une stratégie de transformation culturelle de la société, s’interroge toujours sur la pertinence de sa participation à ce type d’actions. Depuis plusieurs années, elle souhaite peser sur les résistances à la globalisation capitaliste, en invitant à faire des pas-de-côté. Comment rester radical sans tomber dans l’extrémisme ? Comment initier des transitions, démocratiques et sereines, pour cheminer vers de nouveaux futurs soutenables et souhaitables, tout en tenant compte de la situation actuelle ?
Par exemple, lors du premier camp action climat à Notre-Dame-des-Landes de 2009, les décroissants se retrouvent, non sans difficulté, à faire le lien entre les plus radicaux autogestionnaires, et les mouvements institutionnalisés situés de l’autre côté du champ, avec leurs stands. En effet, le chapiteau « Décroissance » est situé au milieu, et réussit à faire le lien entre les deux approches. Un pied dedans, un pied dehors, en soulignant la pertinence et les limites de chaque démarche, qui ne font sens qu’à la seule condition de rester connectée l’une avec l’autre.
De même, dans la foulée, les Décroissants lancent un appel à « Relocaliser Copenhague », sans pour autant s’interdire de s’y rendre : « A l’occasion de cet événement, une mobilisation internationale visant à faire pression sur les négociateurs est programmée. Des délégations du monde entier iront à Copenhague et organiseront sur place des actions. Si envoyer des délégués susceptibles de suivre et, si possible, d’intervenir dans les négociations nous semble indispensable, nous trouvons aussi cela notoirement insuffisant, et certainement pas à la hauteur des enjeux. » 2.
Avec ce type de démarche, la Décroissance essaie de trouver le juste équilibre qui permet la critique radicale du système, sans pour autant s’en exclure.
Relocaliser les actions revient à faire des pas-de-côté qui permettent de vraiment se rencontrer, de se réapproprier le sens de nos projets et d’appréhender les questions avec une juste distance. Relocaliser permet aussi de sortir d’un agenda imposé, du cadre donné, qui formate les mouvements, leurs formes, leurs tailles, leurs communications et ainsi cassent leur cohérence. Cette démarche nous invite à décentraliser nos rapports à notre système politique et donc au pouvoir. Ne réagir qu’à l’ordre établi renforce sa légitimité et nous empêche de nous émanciper d’une certaine servitude volontaire, souvent bien inconsciente ! Le pouvoir est dans le faire, ici et maintenant, sans attendre de qui que ce soit, quoi que ce soit…
Et ce, sans oublier de résister contre les blocages venant du système, et d’agir pour la mise en place de nouvelles règles de (re)distribution et de subsidiarité. C’est ce que les collectifs d’organisation expérimentent à travers les conférences internationales de la Décroissance. Ces tensions entre le local et le global ont animé pendant deux ans les équipes de la dernière édition à Budapest. Comment trouver l’équilibre entre la nécessaire visibilité et l’authenticité des transformations inscrites dans le réel ? Comment respecter l’héritage d’une conférence international bisannuelle en questionnant le sens et les limites d’une telle démarche : « On relocalise et on ouvre : le local offre des conditions d’accueil conviviales et cohérentes, le global offre une dynamique qui renforce le local, suscite de l’intérêt et ouvre des portes. »3 ? Quelle gouvernance pour une organisation qui navigue entre le local et le global : comment articuler des lieux de décisions sur plusieurs niveaux pour qu’ils soient d’abord le lieu d’espaces de rencontres, d’échanges et de dialogues entre ces niveaux ?
Cela nous ramène à la question de la relocalisation ouverte : comment relocaliser sans se couper du monde, sans tomber dans l’entre-soi ?4. C’est ce cœur de l’analyse radicale de la Décroissance qui s’applique ici aux mobilisations de résistances internationales. Alors n’excluons pas d’aller à Hambourg, à condition de n’y voir qu’un moyen de s’appuyer sur les transformations locales et quotidiennes, et d’y allier une critique radicale de ces rencontres et de leurs formes. L’objectif restant bel et bien de continuer à semer des graines d’espoir susceptibles d’accélérer encore plus les transitions vers des sociétés soutenables et souhaitables.
Vincent Liegey, Stéphane Madelaine, Christophe Ondet et Anisabel Veillot, co-auteurs de Un Projet de Décroissance, Manifeste pour une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie, Éditions Utopia, 2013.
http://www.projet-decroissance.net/
1Pour une économie non violente, la Décroissance – http://www.projet-decroissance.net/?p=2243
3Bienvenue en décroissance – Conférence internationale de la Décroissance de Budapest – http://www.projet-decroissance.net/?p=2260
4Ni protectionnisme, ni néolibéralisme mais une « relocalisation ouverte » – http://www.projet-decroissance.net/?p=2123