A Totnes, lieu de naissance du mouvement des Villes en transition, on apprend à réinventer, à se réappoprier l’économie. Et à travers l’Europe, comme par exemple à Budapest avec Cargomania, les initiatives locales créent des emplois dans des activités soutenables et durables, alternatives à l’emploi salarié et réponse pertinente au chômage.
- Nous publions régulièrement des chroniques sur l’excellent quotidien de l’écologie Reporterre.net :
J’ai passé une semaine magnifique à Totnes, lieu de naissance du mouvement des Villes en transition. Plus précisément j’étais invité au Schumacher College pour une semaine studieuse sur comment réinventer, ou plutôt se réapproprier, remettre à sa place l’économie : Generation for a new economy.
Auto-gestion, care et communication non-violente
Ainsi, nous étions quelques dizaines, dans cette superbe région du Devon, sous le soleil dans un décor à la Harry Potter. Au Schumacher College, institution créée en 1990, toutes les tâches sont partagées, un jour une heure au jardin, le lendemain à la cuisine ou au ménage. On mange des produits locaux et de saison, qui plus est végétariens… et c’est délicieux ! Les ateliers se construisent suivant les initiatives et les demandes des uns et des autres. Un superbe exemple que l’auto-gestion ça marche… dans un contexte qui s’y prête.
Plusieurs discussions et rencontres formidables, notamment avec Juan qui coordonne le réseaux des villes en transition en Espagne, Miguel impliqué dans des initiatives locales autour de l’agriculture bio, des ventes directes et aussi des énergies renouvelables au Portugal ou encore Claudian qui anime les réseaux des éco-villages et de la permaculture en Roumanie…
Quelques réflexions, remarques et discussion remarquables, comme par exemple David Graebervenu présenter son dernier ouvrage à venir sur la rationalité, la bureaucratie et la liberté, laissant la conclusion au fondateur du College, le militant pacifiste indien Satish Kumar : « Dans les sociétés occidentales vous avez toujours besoin de toujours plus de lois complexes, de bureaucratie et de répression parce que les gens ne se connaissent pas. Il n’y a pas d’humain ni de confiance ».
Décroissance ou transition ?
Au cœur des débats et des rencontres, comment faire mouvement ? Comment construire des liens, des ponts entre toutes ces personnes, les initiatives que l’on voit émerger partout ? Je ne vais pas m’étendre sur ces questions déjà évoquées dans mes dernières chroniques, mais force est de souligner la maturité et la sagesse naissante dans nos milieux où les combats d’ego, de chapelles semblent s’apaiser.
Comme lors d’une discussion avec Rob Hopkins où nous soulignons les limites de chacune de nos initiatives mais aussi et surtout leurs complémentarités. Ainsi la Décroissance, dans son rôle d’empêcheur de penser en rond, avec sa radicalité et sa pertinence permet d’aller plus loin dans les débats, dans la déconstruction des mythes et aussi dans la construction de possibles alors que la Transition avec son approche pragmatique et inclusive permet de construire ce qui peut l’être, sans attendre et en assumant ses contradictions. La Décroissance défriche de nouveaux chemins, la transition s’y engouffre.
Ce fut aussi le contenu du débat entre David Graeber, présentant et défendant l’action radicale en marge de la société avec des mouvements comme Occupy et la députée européenne anglaise Molly Scott Cato présentant ses activités et le besoin de résister à l’intérieur des institutions, du système. L’un a besoin de l’autre et inversement.
Décroissance, transition et entreprenariat ?
Une visite de Totnes a été organisée. Rien de spectaculaire comme j’avais déjà pu le lire par ailleurs. Comme Rob Hopkins l’explique, la transition c’est premièrement faire se rencontrer, (re)construire des liens, faire société. On part de loin. De même, avec pragmatisme, leur stratégie consiste à avancer avec prudence et dialogue et à trouver des niches. Ainsi, ils ont gagné la confiance des élus locaux dominés par les conservateurs et ont participé à la création de plusieurs entreprises en s’appuyant sur leur incubateur Re-economy.
A Totnes, les bagnoles restent autorisées dans la rue principale, sujet tabou pour une partie importante de la population, mais on paie en monnaie locale, on se nourrit en vente directe, on construit sa maison avec une entreprise locale de manière plus écologique dans un pays où le logement est un problème majeur et surtout on a créé des emplois locaux, soutenables et durables. Ainsi, je me suis rendu compte que j’étais moi-même un entrepreneur social via le projet que nous lançons en ce moment à Budapest…
– La vidéo de présentation du projet Cargomania à Budapest :
Contre le chômage, créer des activités locales et autonomes avec Décroissance
A mon retour à Budapest, inspiré par le pragmatisme anglais, on a ajouté quelques lignes à la présentation de notre projet de nourrir Budapest en vélo. En effet, même si je suis plutôt pour la fin de l’emploi, force est de reconnaître qu’à travers nos initiatives locales, nous créons des emplois, disons plutôt des activités soutenables, durables et riches de sens, véritables alternatives à l’emploi salarié et réponse pertinente au chômage.
Ainsi, en faisant le calcul, avec Cargonomia, notre projet qui consiste à distribuer en vente directe du pain bio fait avec des semences traditionnelles, des légumes produits en biodynamie et des sandwiches faits à partir de produits locaux bio, avec des vélocargos que nous construisons nous-mêmes, ce n’est pas moins d’une vingtaine d’emplois créés !
Cela se passe à Budapest, dans une région qui fait face à un fort chômage et à l’exode des jeunes vers l’ouest. La solution n’est pas d’attendre des investissements occidentaux pour fabriquer toujours plus de bagnoles, encore moins d’aller faire des courbettes à Poutine pour construire de nouvelles centrales nucléaires. La solution
n’est pas la compétitivité, mot à la mode, entre les régions. Mais les solutions sont là, simples, soutenables et locales, sans dépendre ni des grandes banques ni d’un soutien énergétique et technique important du sud ou de la Chine… En effet, pour faire vivre sereinement notre projet, on a juste besoin d’un petit coup de pouce solidaire, alors n’hésitez pas à participer à notre campagne de crowdfunding !
Vincent Liegey
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