Article publié dans « Moins! » No 23 de juin-juillet 2016
dans le cadre d’un dossier spécial sur le Revenu de Base
Depuis plusieurs semaines, l’idée d’un Revenu de Base (RdB) revient régulièrement dans les débats publics. Il y a d’un côté ses partisans et de l’autre ses détracteurs. Et chacun-e y projette ses craintes ou ses espoirs, comme si chacun-e y projetait, en creux, des projets de société totalement différents. Les débats sont alors faussés et confus. L’erreur serait de réagir aux maux d’une société en panne par un outil, sans l’insérer dans un projet de société et sans aborder la question du trajet. Alors, parlons du projet. « Un Revenu de Base » ? Pour quoi faire? Dans quel but ? Pour quelle-s société-s ? Qu’est-ce que nous souhaitons, comment pouvons-nous le réaliser et de quelles façons ?
Avec la Décroissance, nous soulignons les limites physiques que nous dépassons allègrement. Nous questionnons le caractère non désirable de ce modèle de société, induisant la croyance que « -plus- » suffirait à faire sens. La Décroissance est une pensée multi-dimensionnelle et radicale. Nous relions les problèmes les uns aux autres afin de proposer des pistes susceptibles de dessiner des transitions démocratiques et sereines vers de nouveaux modèles de société soutenables et souhaitables. Ces chemins potentiels sont fondés, notamment, sur : la relocalisation ouverte ; des outils de repolitisation et de sécurisation de la société ; une réappropriation de la démocratie et du sens des limites ; la démarchandisation du monde ; une sortie de la religion de l’économie ; la remise en cause de la création monétaire par la dette ; une éducation non aliénante et la communication non-violente…
Ainsi a émergé la proposition de Dotation Inconditionnelle d’Autonomie (DIA) dans le cadre d’ « un projet de Décroissance », titre de notre ouvrage. Ce dernier s’inscrit dans une logique de dialogue, d’ouverture et non avec la volonté d’imposer un projet clé en main, et encore moins avec l’idée d’en faire un outil magique qui résoudrait tous les problèmes. Nous souhaitons définir une ligne d’horizon qui nous guide pour mettre en place dès aujourd’hui des éléments, à titre individuels, collectifs, sociétaux et politiques. Le couple DIA/RMA (Revenu Maximum Acceptable) participe à définir cette ligne d’horizon.
La DIA propose de garantir de la naissance à la mort ce que l’on considère démocratiquement comme suffisant pour vivre toutes et tous décemment. C’est une forme de RdB mais partiellement démonétarisé: droit d’accès à des ressources (eau, énergie, logement), des services (santé, éducation, pompes funèbres) et des monnaies locales (nourriture, services, outils) sans pour autant rejeter une partie en monnaie nationale ou supra-nationale. Dans la logique de se réapproprier le sens des limites, la DIA est nécessairement couplée à un RMA.
Nous sommes sympathisants du mouvement français pour le revenu de base (MFRB), parce que la DIA inclut un RdB. Mais selon nous, la question du RdB ne peut pas être invoquée comme une fin en soi. Nous ne sommes pas dupes, derrière certaines versions du RdB qui se présentent comme neutres, il y a des projets de sociétés qui vont à l’opposé du nôtre qui est clairement anti-productiviste et anti-capitaliste. Nous ne soutenons pas les projets d’allocation universelle qui seraient plaqués sur le système actuel. Elle n’aurait pour but que d’acheter une paix sociale, dans un système ultralibéral qui pourrait alors se permettre de détruire le reste des solidarités encore en place. C’est pour cela que nous insistons pour que l’outil et son projet soient toujours présentés simultanément. Et c’est aussi pour cela que nous restons critiques envers cette démarche dite « a-partisane » du MFRB.
Par son essence même, la DIA représente une opportunité de se réapproprier le pouvoir de décision sur ce qu’on produit, comment, pour quel usage. Elle pose aussi la question des limites, aussi bien en terme de revenu que d’un point de vue symbolique (plancher haut, plafond bas), de la centralité de la valeur travail, de la marchandisation, de notre rapport aux technologies, à la nature ou encore au temps. Ainsi, c’est une invitation à se réapproprier le sens que l’on souhaite donner à sa vie.
Face à de tels défis et une telle complexité, il faut aussi développer des propositions de transformation de la société. Il serait illusoire voire dangereux de s’arrêter à un outil, même jugé parfait. Un unique outil ne peut pas suffire à transformer nos imaginaires, nos aspirations, ou encore nos conformismes sociaux. Posons la question du pouvoir et des institutions, puis initions des dynamiques de masse critique parallèles susceptibles d’accélérer le changement. Agissons individuellement, collectivement, et à l’échelle de la société. Tous ces niveaux sont complémentaires. Ainsi, nous sommes actifs dans les marges du système pour créer ces mondes de demain, mais en y conservant un pied pour continuer le dialogue et la transformation de l’intérieur.
C’est en inscrivant le RdB dans la DIA qu’il trouve sa cohérence. Dans ce cadre, au même titre que l’essaimage de graines via les alternatives concrètes, ou encore la simplicité volontaire, il est pertinent pour accélérer une transition démocratique et sereine basée sur la Décroissance. Mais le cadre, c’est la DIA. Car à travers sa construction, elle véhicule toutes les réflexions sur les sociétés dans lesquelles nous souhaitons vivre. Elle est un instrument de décolonisation de nos imaginaires et de transition. Elle n’est pas « LA » solution, mais elle représente une ouverture, une brèche ébranlant le système croissanciste, une porte de sortie à sa barbarie. Elle participe à créer de nouveaux modèles de sociétés soutenables, désirables, autonomes et conviviaux.
Vincent Liegey, Stéphane Madelaine, Christophe Ondet et Anisabel Veillot
Co-auteurs de « Un Projet de Décroissance – Manifeste pour une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie », éditions Utopia, 2013.
Exergue :
« Par son essence même, la DIA représente une opportunité de se réapproprier le pouvoir de décision sur ce qu’on produit, comment, pour quel usage. »
« La DIA est un instrument de décolonisation de nos imaginaires »
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