La décroissance, pour sortir de «la religion de la Croissance»
Elsa Levy de l’Agence Créative CulturElle | 24 Sept. 2015
Sémantiquement, la décroissance s’oppose à la croissance. Mais loin d’être synonyme de récession ou de régression, la pensée de la décroissance prône le passage vers une société délivrée du joug de la surproduction et de la surconsommation.
«L’objectif est d’ouvrir un débat dans la société sur la nécessité de sortir de la religion de la Croissance», expliquent les membres du collectif Un Projet de Décroissance.
(Photo iStock : graphicsdunia4you)
Nous avons rencontré certains membres du collectif Un Projet de Décroissance : Vincent Liegey, Christophe Ondet, Stéphane Madelaine, Anisabel Veillot et Jérôme Cardinal (co-auteurs d’Un Projet de Décroissance aux éditions Utopia, paru en 2013). Pour eux, la décroissance est avant tout «un slogan provocateur dont l’objectif est d’ouvrir un débat dans la société sur la nécessité de sortir de la religion de la Croissance».
Car «une croissance infinie dans un monde fini n’est ni possible, ni souhaitable», explique le collectif. «Nous nous heurtons aux limites physiques et environnementales de la planète (dérèglement climatique, chute de la biodiversité, raréfaction des énergies fossiles mais aussi des métaux, etc.)», affirment ceux qui rappellent qu’«alors que nos sociétés n’ont jamais connu un tel niveau de confort matériel, nous constatons que nous atteignons les limites sociales, avec toujours plus d’inégalités, et culturelles de notre dépendance au toujours plus».
Une résonance écologique
Réfléchir à une production responsable : c’est un des objectifs de la décroissance, et c’est aussi celui de l’écologie. En effet, d’après les membres du collectif, «une des grandes forces de la décroissance est sa pensée multidimensionnelle et la remise en cause des idéologies dominantes», dont celle du productivisme. La décroissance ne répond pas aux défis environnementaux en proposant des solutions techniques clés en main, mais elle pointe du doigt notre dépendance toxique à la croissance, qui nous pousse toujours à produire davantage, consommer plus et accumuler.
Répondre aux questions environnementales, c’est «répondre à ce sentiment d’oppression de la société de croissance et également se dégager de notre pseudo-liberté de consommer en affrontant, enfin, la partie cachée de notre confort. Les réponses doivent donc s’intéresser en même temps aux questions de soutenabilité et de bien-être.»
Expérimenter une transition vers de nouveaux modes de vie, se tourner vers la simplicité volontaire : c’est en se réappropriant la voie publique avec l’usage du vélo, son alimentation avec les jardins communautaires ou encore l’économie avec les monnaies locales que les citoyens peuvent y parvenir. Ce faisant, «on reconstruit du lien social dans une société gangrenée par l’individualisme», estiment les décroissants.
Les peurs qui empêchent de «penser collectif»
Un tel projet a l’ambition de responsabiliser chacun et de ne plus penser «individuel» mais «collectif». Malgré tout, les objecteurs de croissance qui souhaitent pourtant rassembler, rencontrent encore un grand nombre de personnes frileuses à leurs idées.
«Nous ne sommes pas des donneurs de leçon et comprenons très bien les difficultés que rencontrent toujours plus de personnes dans ce modèle dominé par la compétition économique. Nous traversons des crises, des instabilités, des phénomènes extrêmement anxiogènes», concèdent les décroissants, qui réalisent bien que la peur du déclassement social, celle de perdre son emploi, celle de ne plus être en mesure de rembourser ses emprunts… sont autant de freins à plus de «participation solidaire à la vie de la cité». «C’est pourquoi nous sommes engagés dans les débats d’idées, à la fois pour déconstruire un certain nombre de croyances paralysantes mais surtout pour proposer des solutions susceptibles de nous redonner de l’espoir», ajoutent-ils.
Le mouvement de la décroissance s’entoure également d’outils pratiques, tels que «le revenu inconditionnel, l’extension des sphères de la gratuité pour les besoins essentiels (logement, énergie, nourriture, eau, etc.)
«Plus que jamais, nous pensons que le politique doit dominer l’économie qui se retrouve aujourd’hui entre les mains d’une oligarchie financière plus puissante que jamais : audit des dettes publiques, réappropriation de la création monétaire et des banques centrales et régulation démocratique des banques. De même, face aux enjeux internationaux, nous privilégions le dialogue et une baisse de notre empreinte écologique au nord : c’est la seule solution pour permettre au sud de se réapproprier ses choix d’autodétermination et sortir des crises auxquelles il fait face.»
Une utopie concrète
A ceux qui qualifieront leurs idées d’utopiques, les membres du collectif répondent : «Nous sommes aujourd’hui enfermés, conditionnés dans la religion de l’économie, du toujours plus qui nous entraîne toujours plus vite droit dans le mur ! C’est une forme d’utopie irréaliste que d’attendre le retour d’une croissance durable et forte !»
«Nous pensons qu’il faut réhabiliter une autre utopie, celle d’un monde souhaitable et convivial, celui de l’émancipation, du partage et du dialogue. Nous avons besoin de réfléchir et d’expérimenter des alternatives, de faire des pas de côté et de redécouvrir de l’espoir, du rêve en revenant à des choses simples. Cet espoir, nous le vivons déjà dans les alternatives concrètes que l’on voit émerger partout à travers le monde. Ces nouveaux mondes sont déjà là, ils se construisent et on s’y épanouit. Réapproprions-nous le droit de chercher le sens que l’on souhaite donner à nos vies, si possible conviviales, soutenables et souhaitables !», concluent-ils.